Joseph-Anténor Firmin est né au
Cap Haïtien en 1850. D'origine modeste, élève assidu et dur à la tâche, il
entre dans l'enseignement à 17 ans avant de faire de la comptabilité pour le
service des douanes, puis pour une maison de commerce. En 1875, il est agent
percepteur de la commune du Cap, tout en donnant des cours de grec, de latin
et de français dans un établissement privé.
Il s'intéresse à la politique et
particulièrement au parti libéral. C'est dans ce cadre qu'il fonde un journal
au Cap, Le Messager du Nord, où il se montre déjà sensible à «la
question de couleur».
Il échoue à la députation en 1879
(d'après certains témoignages, ses adversaires font croire aux électeurs
qu'il est blanc). En juin 1883, il est envoyé à Caracas par le président
Salomon pour les fêtes du centenaire de Bolivar. Il refuse d'entrer dans un
ministère et s'exile à Saint Thomas, puis à Paris où, soutenu par
Louis-Joseph Janvier, il est reçu membre de la Société d'Anthropologie.
En 1885, Firmin publie De
l'égalité des races humaines. Pour comprendre ce projet monumental, il
est nécessaire d'en resituer le contexte. Entre 1853 et 1855, Gobineau a
publié son tout aussi monumental Essai sur l'inégalité des races humaines,
ouvrage illustrant un pessimisme romantique radical et une métaphysique
raciale de l'histoire. Gobineau ne traite pas de ce qui doit être mais bien
de ce qui a été, un âge d'or de l'«arianisme» et son déclin irréversible par
la disparition progressive des «éléments créateurs de civilisation». Les
colonisations se déchaîneront en s'appuyant sur l'alibi de la civilisation.
Or, dans ce contexte, la position d'Haïti est stratégique: l'Indépendance
puis l'instauration de différents types de gouvernements montrent précisément
que l'inégalité supposée des races est battue en brèche par l'existence même,
dans le concert des Nations, d'une République d'anciens esclaves devenus
citoyens.
L'ouvrage de Firmin est une
compilation. En épuisant un à un les arguments du racisme scientifique, en
montrant combien ils sont peu opératoires, tant sur un plan mythique que sur
un plan scientifique, Firmin tente de ruiner les systèmes de compartimentage
et de hiérarchisation des races humaines, fondées sur le volume de la boîte
crânienne, la texture de la chevelure, les caractérisations phénotypiques,
les répartitions linguistiques et cetera. Ce faisant, il réduit le discours
scientifique de l'inégalité à un ensemble de superstitions, et met en crise
la validité de ce discours. Il assigne à Haïti une place éminente dans le
combat contre le préjugé et l'idéologie de la discrimination et de la
hiérarchisation. Plus qu'un travail scientifique, il s'agit d'un ouvrage
métacritique dans lequel Firmin prend en compte le lieu d'où il parle et d'où
il écrit.
En 1888, il est en Haïti et prend
part politiquement aux événements qui précipitent le départ de Salomon en
1888 (président depuis 1879) puis l'élimination du président Légitime
(1888-1889) l'année suivante. Après la défense contre la raillerie raciste de
l'étranger, il s'agit pour lui de dénoncer les insuffisances haïtiennes, et
servir un État de telle sorte qu'il ne soit plus fondé sur les prébendes et
la rapine. En 1889, Firmin est nommé par le président Hyppolite (1889-1896)
ministre des Finances et des Relations extérieures. Il se distingue par ses
compétences, ses pratiques et son honorabilité. Gestionnaire avisé, Firmin
réorganise les administrations qu'il dirige, notamment celles des douanes et
de la Banque Nationale, en diminuant les taux d'intérêt, ce qui facilite la
reprise rapide des affaires, permettant notamment la régularisation du
paiement mensuel des salariés de l'État. Les recettes plus abondantes grâce à
ce climat de confiance entraînent la reprise du paiement de la Dette, dont le
résultat financier fut la hausse de la cote des obligations à la bourse de
Paris. Firmin réussit même ce tour de force en Haïti d'obtenir une trésorerie
bénéficiaire. Jamais les finances de l'État n'auront été plus prospères. Fort
de ses ressources, le pays verra un développement inégalé des travaux publics
sous la présidence d'Hyppolite: ponts, éclairage public, arrivée du câble
transatlantique à Port-au-Prince, téléphone dans les grandes villes, marchés.
Pendant les deux années de son ministère, Firmin parvient à mener de façon
subtile les négociations concernant la location du Môle Saint Nicolas avec
les représentants politique et militaire des États-Unis en Haïti: Frederick
Douglass, ambassadeur, figure emblématique de la lutte contre le préjugé de
couleur et partisan de l'annexion d'Haïti, ainsi que l'amiral Gherardi.
Firmin quitte le cabinet en 1891 et se retire en France, pendant qu'en Haïti
on assiste à un durcissement du régime. Ce ministère laisse le souvenir d'une
intelligence politique, faite de civisme exceptionnel et de probité
administrative, un ensemble de pratiques qui constituent le firminisme.
Anténor Firmin publie à Paris en
1891 Haïti au point de vue politique, administratif et économique,
texte d'une conférence et, en 1892, Une défense, plaquette qui est une
réfutation des critiques émises par son successeur aux finances.
Il rentre en Haïti en 1893, et,
lors de sa rencontre avec le cubain en exil, José Martí, évoque le projet de
«confédération antilléenne». À Paris peu après, Firmin multiplie les contacts
avec les milieux latino-américains, et s'intéresse de près à la question du
panafricanisme. À l'avènement du président Sam en 1896, Firmin redevient
ministre des Finances et des Relations extérieures, mais le Cabinet est
renversé après un vote de la Chambre. C'est un nouveau départ pour l'exil.
Firmin publie en 1898 Diplomate
et diplomatie, qui concerne le traitement de l'affaire Lüders, qu'il
compare à celui de l'affaire du Môle: alors que Firmin est parvenu à
préserver l'intégrité du territoire national, le gouvernement de Sam cède face
l'ultimatum de deux canonnières allemandes qui exigent une indemnité de 2000$
et une lettre d'excuse, alors que Lüders, commerçant allemand condamné pour
avoir brutalisé un policier haïtien, avait été gracié et autorisé à quitter
le territoire. Cette affaire eut un retentissement considérable sur le plan
international: elle témoigne de la faiblesse de l'État haïtien dans un
contexte où les menées impérialistes des puissances européennes sont
particulièrement vives.
En 1900, il est nommé ministre
plénipotentiaire à Paris. Il rentre en Haïti en 1902, au moment de la chute
du président Sam. Ses partisans, appuyés par le général Nord Alexis et
l'amiral Killick, entrent dans le gouvernement provisoire dirigé par Adolphe
Boisrond-Canal. Firmin se prépare alors à l'élection présidentielle. Mais les
propres ambitions de Nord Alexis le poussent à se retourner brutalement
contre les firministes et à déclencher une sanglante guerre civile.
Boisrond-Canal se range au côté de Nord-Alexis, dénonce Killick au gouvernement
des États-Unis comme insurgé et son navire, le Crête-à-Pierrot comme
«pirate». Après l'incendie de Petit-Goâve, les navires américains empêchent
Killick d'appuyer les firministes. Firmin lui-même est l'objet de pressions
internationales – notamment de l'association pan-africaine – pour se retirer
de ce processus révolutionnaire, en faveur d'une intervention américaine.
Enfin, le soutien allemand au gouvernement provisoire, résolument opposé à
Firmin depuis l'affaire Lüders, se marque par la tentative de se saisir de
Killick, qui choisit de saborder le Crête-à-Pierrot et de couler avec
lui. Cette perte porte un coup fatal aux partisans de Firmin, qui est forcé
de négocier. Il repart en exil en octobre 1902.
La situation économique se dégrade
dangereusement: pour masquer les insuffisances de gestion, le président Nord
Alexis (1902-1908) entraîne l'économie haïtienne dans une inflation
importante et prône un discours ouvertement xénophobe, attribuant tous les
malheurs d'Haïti à la présence étrangère. En 1904, année du Centenaire de
l'Indépendance, la gourde n'a quasiment plus aucune valeur. Cette situation
laisse percevoir le danger imminent d'une invasion états-unienne: en 1898,
Hawaï est annexée; Cuba et Porto Rico sont mis sous tutelle à la fin de la
guerre hispano-américaine. Les pressions française et allemande sur Haïti
s'accentuent notablement et font régulièrement perdre la face au gouvernement
haïtien : à plusieurs reprises et à la suite d'incidents diplomatiques, leurs
navires de guerre menacent directement la ville de Port-au-Prince d'un
bombardement. Pour contrer d'éventuelles insurrections, Nord Alexis instaure
un régime de terreur, particulièrement sur les populations les plus pauvres.
Firmin publie un programme
politique en 1905, Monsieur Roosevelt, président des États-Unis, et la
République d'Haïti. Il y pose «les conditions pratiques qui doivent
permettre à Haïti de faire preuve de l'aptitude de la race noire à constituer
une société politique harmonieuse» (647). Il préconise un rapprochement entre
Haïti et les États-Unis, brosse des tableaux comparés de l'histoire des deux
pays, et insiste sur certains aspects du mal haïtien: le fonctionnement
despotique des institutions, le manque de formation politique des élites, la
gestion calamiteuse des finances publiques qui confine à l'économie de
rapine. Il propose des réformes administratives en vue d'assurer le
développement économique et surtout social du pays: il y exprime la doctrine
d'un libéralisme résolument démocratique. On extrait souvent une phrase
célèbre de ce livre: «Dans tous les pays, dans toutes les races, le progrès
ne s'effectue, ne devient tangible que lorsque les couches sociales
inférieures, qui forment toujours la majorité, tendent à monter en
intelligence, en puissance, en dignité et en bien-être. Là où la politique,
dite éclairée, ne consiste qu'à perpétuer l'infériorité de ces couches,
formant l'assise même de la nation, en exploitant leur ignorance, il n'y a
point de progrès possible...».
En janvier 1908, ses partisans
pensant qu'ils seraient appuyés par les États-Unis, tentent un coup de force
aux Gonaïves, qui est rapidement écrasé, faute de l'aide américaine. Le
gouvernement américain redoute en effet une extension de cette insurrection à
la République Dominicaine et à Cuba. Les chefs de l'insurrection sont
fusillés. Parmi eux, les frères Coicou. La décision américaine s'accompagne
d'une mise en garde aux représentations européennes. Désormais, l'État
américain est nettement plus impliqué dans la politique haïtienne que n'importe
quelle autre puissance. Mais en même temps, il n'intervient absolument pas
lors du durcissement du régime, notamment lorsque celui-ci fait donner la
troupe contre les paysans souffrant de famine (1908).
La chute de Nord Alexis puis
l'élection à la présidence d'Antoine Simon (1908-1911) ne permettent pas à
Firmin de reprendre une carrière politique. Il est envoyé ministre à La
Havane, puis à Londres, tant le président Simon craint que cet intellectuel
et rival potentiel ne soit trop près. Firmin ne rentrera plus en Haïti. Il
s'installe à Saint Thomas, d'où il publie Les lettres de Saint Thomas
dans lesquelles il met en perspective la construction toujours à réaliser de
la démocratie haïtienne dans un ensemble plus vaste, une confédération des
Antilles. En 1911, il publie une réflexion testamentaire et prophétique sur
l'état d'Haïti, au titre évocateur: L'Effort dans le mal: «Homme, je
puis disparaître, sans voir poindre à l'horizon national l'aurore d'un jour
meilleur. Cependant, même après ma mort, il faudra de deux choses l'une: ou
Haïti passe sous une domination étrangère, ou elle adopte résolument les
principes au nom desquels j'ai toujours lutté et combattu. Car, au XXe
siècle, et dans l'hémisphère occidental, aucun peuple ne peut vivre
indéfiniment sous la tyrannie, dans l'injustice, l'ignorance et la misère».
Firmin meurt la même année (1911). En 1915, les troupes états-uniennes
débarquent en Haïti.
Fonctions
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Président
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Prédécesseur
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Callisthène Fouchard (Finances et Commerce)
Pourcely Faine (Relations extérieures)
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Successeur
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Solon Ménos
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Président
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Prédécesseur
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Saint-Martin Dupuy (Finances et Commerce)
Lui-même (Relations extérieures)
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Successeur
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Hugon Lechaud
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Président
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Prédécesseur
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Saint-Martin Dupuy (Relations extérieures)
Néré Numa (Agriculture)
Maximilien Laforest (Cultes)
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Successeur
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Lui-même (Relations extérieures)
Clément Haentjens (Agriculture)
Léger Cauvin (Cultes)
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Membre du Gouvernement provisoire de la République
d'Haïti
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Biographie
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Nom
de naissance
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Joseph Auguste Anténor Firmin
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Date
de naissance
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Lieu
de naissance
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Date
de décès
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Lieu
de décès
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Nationalité
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Parti
politique
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Parti Libéral
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Conjoint
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Marie Louise Victoria Rosa Salnave
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Enfants
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Anne-Marie Firmin
Georges Anténor Firmin
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Profession
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