Depuis son début, la peinture
ayitienne a toujours été caractérisée à la fois par ses sources d'inspiration,
populaires et spirituelles, et par un style original incarné par les artistes la
pratiquant, lesquels artiste qu’on appelle les naïfs. On les appelait ainsi parce qu’ils prônaient
un style pictural figuratif ne respectant pas — volontairement ou non — les
règles de la perspective sur les dimensions, l'intensité de la couleur et la
précision du dessin.
Les
débuts…
La peinture a toujours été une forme
d'expression traditionnelle et symbolique en Ayiti comme en témoignent les décorations murales et les
illustrations d'inspiration religieuse dont certaines remontent au XVIIIe siècle. Alors que les familles de colons
riches savaient importer beaucoup de tableaux d'Europe ou savaient faire venir
des peintres occidentaux sur place, certains d'autres envoyaient leurs esclaves libres en Europe particulièrement en France
pour y apprendre la peinture et exploiter leur talent.
Ainsi, une première Académie de
peinture Ayitienne est créée au Cap-Haïtien par le roi Henry Christophe peu après l'indépendance du pays en 1804. En 1816, Pétion à son tour ouvre une école d'Art à Port-au-Prince où viennent enseigner des peintres français. La période de
1830 et 1860, est cette période où les sujets historiques liés à l'esclavage,
et religieux, notamment autour du culte vaudou, constituaient alors les principaux
thèmes des artistes d’alors, dont la production est encore masquée par
l'activité le plagiat.
Les
naïfs Ayitiens
Dans les années 40 plus précisément
en 1944 après la Seconde Guerre
mondiale, le
peintre et professeur américain Dewitt Peters crée à Port-au-Prince une école
d'art et de peinture. Son enseignement restait dans un premier temps académique et influencé par les courants
occidentaux ou américains. Mais impressionné par le style naïf
des peintres ayitiens, il décidait d'accueillir, en complément de ses étudiants
traditionnels, des autodidactes à qui il fournit du matériel qui leur permettra d'exprimer
leurs talents. Bref il faisait une mixture entre le savoir-faire des naïfs et
celui des occidentaux. Pour lui cela fut un mariage parfait. Une première vague
de ces artistes commence à connaître une certaine notoriété, comme Hector Hyppolite,
Rigaud Benoit,
Castera Bazile,
Wilson Bigaud ou Robert Saint-Brice. C'est le début du mouvement des
« naïfs ayitiens ».
Le poète français André Breton lors
de ses voyages en Haïti, entre 1943 et 1945 se prenait d'admiration pour ces
œuvres attrayantes. C’est pour cela, une fois retournée en France, il publie
alors un texte en honneur d’Hector Hyppolite, lequel texte attirant l'attention
de plus d’un intellectuel français sur la peinture ayitienne, comme Jean-Paul Sartre
qui en 1949, visite.
Au cours des années 1950, la peinture ayitienne a évolué et se diversifie, s'ouvrant
à différentes formes d'expression, mais privilégiant toujours les couleurs et
le trait. Plusieurs ateliers ont vu le jour dans différentes parties du
territoire. L'art naïf haïtien se répand alors dans le monde: le Museum of Modern Art de New York se porte acquéreur de toiles des artistes
les plus en vogue de même que Time Magazine qui en reproduit des fresques
dans ses éditions.
Le terme de « naïfs »
décrit comme on a vu ci-dessus un style figuratif où dominent les couleurs en aplat et les
sujets populaires tels que : scènes de rue, marchés animés, combats d'animaux,
etc. Il s'applique moins à la technique des artistes qui maîtrisent totalement
leur art. Dans les années 1960, il y eut une affluence d’acheteurs s'arrachant les œuvres
des naïfs ayitiens qui deviennent des articles recherchés sur le marché de
l'art. On pourrait même dire que les arts des naïfs avaient le monopole du
marché des arts. Ce brutal intérêt commercial, qui provoque l'émergence d'une
véritable industrie artisanale de peintures naïves, amènera des artistes comme
la communauté de Saint Soleil à revenir aux sources en plaçant la culture vaudou au cœur de leur démarche.
Le
vaudou et la peinture
Le culte vaudou apparaît très tôt dans la peinture
haïtienne. Les deux figures les plus marquantes et les plus symboliques sont Hector Hyppolite et Robert Saint-Brice, dont la démarche artistique a été
saluée par André Breton pour le premier, et par André Malraux pour le second.
Au début des années 1970, Maud
Robart et Jean-Claude Garoute (connu comme peintre sous le nom de Tiga)
créent un centre d’art destiné à accueillir les artistes autour du thème du
mystère vaudou. Ils s'installent
d'abord dans le quartier de Nérettes, à Pétion ville, dans la banlieue de Port-au-Prince. L’expérience n’est pas concluante, mais les deux
intellectuels s’accrochent à leur projet. Ils déménagent en 1973 à Soisson (Montagne noire), à quelques kilomètres de
Port-au-Prince, sur les hauteurs de Pétion ville.
En ce lieu, Ils rencontrent des
maçons, des cuisinières, des jardiniers et des paysans auxquels ils prêtent un
local, des pinceaux et des toiles. La peinture de ces « résidents »
va s'orienter vers le thème du vaudou. Leur groupe sera considéré comme une école,
baptisée « Saint Soleil ».
En 1975, Malraux visite cette communauté et lui donne une aura mystique dans
son essai L'Intemporel : il prolonge et amplifie, trente ans après
André Breton, l'attrait et la séduction que la peinture d'Ayiti exerce : « Un peuple d’artiste habite Ayiti »
écrit-il, soulignant que sur l'île, tout est sujet à transcription
picturale : le marché, le mariage, la pêche et la religion, syncrétique
comme à Cuba et au Brésil.
La communauté Saint Soleil en 1978 s’est
séparée mais les peintres les plus impliqués et les plus talentueux veulent
continuer à peindre : Louisiane
Saint Fleurant, Denis Smith, Dieuseul Paul, Levoy Exil et Prospère Pierre Louis, les « historiques de Saint
Soleil » créent un groupe informel qui prend le nom des « Cinq soleils ». Ces
artistes vont essaimer et beaucoup de peintres vont se reconnaître dans leur
démarche : ainsi des artistes comme Payas ou Stevenson Magloire (le fils de Louisiane Saint
Fleurant, qui mourra assassiné) se font connaître jusqu'en Europe et aux États-Unis.
Longtemps, on a trouvé des toiles de
ces artistes dans les magasins les plus improbables y compris les boutiques
pour touristes, dans lesquelles elles côtoyaient la peinture naïve.
Aujourd’hui, un marché s’est organisé autour de la peinture vaudou, et les
toiles de ses représentants sont vendues, souvent très cher, dans les galeries
américaines et françaises.
La peinture des naïfs ayitiens
depuis, a toujours été florissante, elle traduisait et traduit encore les
aspirations du peuple dans toute sa globalité et permet au reste du monde de se
faire une idée de notre pays. Ensemble protégeons nos acquis et voyageons ensemble
dans l’univers de ces arts sans pareils.
Bibliographie
- Selden Rodman, Where art is joy; Haitian art, the first forty years, Ruggles De Latour INC, 1988.
- Laënnec Hurbon, Les mystères du Vaudou, Gallimard découvertes, 1993.
- Catalogue de l'exposition Peinture Haïtienne d'inspiration vaudou, Musée d'Aquitaine à Bordeaux (10 mai au 30 novembre 2007), éditions Le Festin, 2007.
- Catalogue de l'expositionVaudou à l'Abbaye de Daoulas, du 27 juin 2003 au 11 janvier 2004, sous la dir. Michel Le Bris, Hoëbeke, 2003.
- Catalogue de l'exposition Haïti, anges et démons à la Halle St Pierre, Paris, du 21 mars au 30 juin 2000 / sous la dir. de Martine Lusardy, Hoëbeke/Halle St Pierre, 2000.
- Michel Philippe Lerebours, Haïti et ses peintres de 1804 à 1980. Souffrances & Espoirs d'un Peuple, 2 volumes, Port-au-Prince, 1989.
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